vendredi 24 mai 2013

Colloque : Quelle nouvelle gouvernance pour le Mali?


Essai de synthèse de la journée du 16 mai 2013 à l’Assemblée Nationale(1)

Quelle nouvelle gouvernance pour le Mali ?
Organisé par le Centre for Humanitarian Dialogue

Le Centre for Humanitarian Dialogue a rassemblé une centaine de participants, le jeudi 16 mai 2013, afin d’échanger sur les questions centrales dans le règlement de la crise au Mali. Cette journée fut l’occasion de réunir des intervenants de divers horizons, dont des maliens du Nord et du Sud, certains étant réfugiés en Mauritanie. 

En voici le programme :



« Il n’y a pas de sécurité sans développement, il n’y a pas de développement sans sécurité, et il n’y a pas de développement et de sécurité sans nouvelle gouvernance.(2)  »

Au regard de ces mots introductifs prononcés lors de l’ouverture du colloque par François Loncle, Vice-Président du Groupe Sahel et membre de la Commission des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale, des pistes ont été cherchées par tous les participants à cette réunion afin de définir les orientations d’une nouvelle gouvernance destinée à impulser le développement et à assurer la sécurité au Mali.
Ainsi, l’objectif du colloque était d’apporter les clefs de lecture à la crise du Mali pour en chercher la sortie grâce à la construction d’une nouvelle gouvernance malienne.

Lors de ce colloque, les débats ont tantôt divisé tantôt concilié les participants. Ainsi, cette synthèse s’organisera en présentant en premier lieu les points sur lesquels tous semblent s’accorder, pour ensuite aborder les éléments plus polémiques.


I. Un bilan globalement unanime


Malgré les conflits à répétition que connaît le Mali, un aspect positif se dessine, celui d’une reconstruction possible : il y a toujours du bon à prendre dans une crise.
Si des rencontres et espaces de discussion sont actuellement mis en place c’est parce qu’on constate que depuis 1960, date de l’indépendance du Mali, les crises politiques et sécuritaires se sont répétées au Nord du Mali en s’aggravant toujours plus. Les solutions trouvées à chaque nouvelle crise n’ont pas sues construire une paix et une réconciliation durable. Cependant, il y a un espoir de résolution de ces crises si certaines conditions sont établies. Le climat conflictuel au Mali est daté, et il n’est pas historiquement éternel, ce qui suppose qu’une paix durable peut s’établir au Mali. Effectivement, malgré tous les problèmes que recense le Mali, il n’y a pas eu de rupture entre les nomades et les sédentaires, et à voir l’hospitalité entre les populations du Nord et du Sud, il n’y a pas de véritable antagonisme. De plus, la crise peut être l’occasion d’un changement profond, notamment par la volonté de prendre en compte les différentes composantes de la société malienne, de comprendre et d’accepter les différences et les complémentarités.

Le conflit au Mali touche plusieurs Etats.
C’est d’abord dans le contexte sahélien qu’a germé le conflit malien. Le sahel est depuis toujours, de par sa position géographique, un espace particulier d’échange. Aujourd’hui il est caractérisé par des trafics divers : migrants, armes, drogues, cigarettes. Ainsi les Etats voisins sont aussi impliqués dans les problèmes qui touchent le Mali en tant qu’Etat de transit. De plus le Burkina Faso, la Mauritanie et le Niger, accueillent aujourd’hui de nombreux maliens ayant fuit l’insécurité sur leur sol.
La France et l’Union Européenne sont aussi concernées à multiples égards par la crise au Mali. Le conflit actuel est ancré dans l’ère coloniale qu’a connu le Mali. Historiquement d’abord, puisque la France, de par son approche utilisée pendant la période coloniale consistant à « diviser pour mieux régner », a influé sur la construction divisée de la société malienne que les Républiques successives du Mali n’ont pas réussi à modifier profondément. De plus, le narco trafic très présent au Mali se destine à l’Europe, principal demandeur sur le marché de la drogue en provenance d’Afrique.

Un déficit de confiance qui doit se résorber par le dialogue.
La défiance au Mali se manifeste entre les populations du Nord et du Sud, mais aussi entre les populations du Nord elles-mêmes et entre l’Etat et le Nord. La réconciliation est l’impératif à une possible sortie de crise. Il y a aujourd’hui une volonté de construire le Mali comme un tout grâce au dialogue. Les traumatismes existent, il ne faut pas les nier, mais il faut dépassionner le débat. Cependant des divergences divisent l’opinion quant à la manière d’établir ce débat. Dans cette optique la création de la CDR (Commission pour le Dialogue et la Réconciliation) est généralement bien accueillie. Une importance particulière est donnée à la place de la vérité dans ce dialogue, il faut accepter les réalités et ne pas  se construire autours de faux débats.

L’argent Roi
L’argent est devenu la valeur suprême capable de tout acheter : la paix, les élections, les armes… Cette situation entraine affairisme et corruption. Une prise de conscience doit s’opérer pour ne pas voir des comportements de prédations sur l’aide attribuée. Cette responsabilisation peut s’effectuer par l’éducation populaire.

La construction de l’avenir des jeunes comme alternative aux instabilités propres au Mali.
Le problème de la démographie pourrait être considéré comme structurellement plus grave que tous les autres énumérés ci-dessus. L’évolution démographique entraine un décalage entre l’offre et la demande de travail, ainsi il n’y a pas assez d’emplois et une pauvreté qui ne cesse de s’accroître. Le Mali possède un des taux de fécondité parmi les plus hauts du monde avec environ 6 enfants par femme et est un des pays les plus pauvres.
Face à l’augmentation de l’islamisation des comportements et des esprits, la place des jeunes est fondamentale. Ce sont eux qui pourront offrir un avenir stable au Mali. Si ces jeunes, numériquement imposants, n’ont pas de perspective d’avenir, ils peuvent être tentés de rejoindre les rangs des groupes salafistes ou de se diriger vers le trafic des drogues.

Pour une aide plus cohérente.
Repenser l’aide au développement est une exigence pour éviter les dangers de la coopération et assurer la cohérence de l’aide. Il ne faut pas offrir des services éclatés ou effectuer des zonages d’intervention. Les « guerres » entre ONG doivent être dépassées pour s’accorder sur les programmes à favoriser.
Il faut aujourd’hui donner une place significative à l’urgence face aux derniers évènements survenus au Mali, et notamment au climat d’insécurité qui y règne en ce moment. Le retour des réfugiés doit s’organiser dans des brefs délais après le retour au calme.

Sensibiliser de nouveaux acteurs.
Une campagne de communication concertée vers l’opinion des français devrait s’organiser pour montrer les impacts des actions réalisées et ainsi mobiliser et gagner la confiance des français.
De l’autre coté il faut faire participer les bénéficiaires. Seuls les maliens pourront vraiment impulser un retour à une paix durable, c’est à eux qu’incombe la construction du Mali.

Sur les points exposés ci-dessus la majorité des personnes étant intervenues dans le débat s’accordent. Cependant, force est de constater qu’après avoir posé ce bilan général, les désaccords interviennent quant à la manière d’impulser le changement. On a pu constater lors de ce colloque qu’une première étape a été franchie dans le processus de discussion préalable aux actions de développement : la reconnaissance de la nécessité de poser les causes historiques et économiques qui ont conduit à la situation conflictuelle. C’est le début d’un dialogue construit qui repose sur l’acceptation de la vérité et la réconciliation. Les discussions futures devront nécessairement se pencher sur la manière de mettre en place les processus de développement adéquats.



II. les polémiques divisant les différents partenaires


Le renforcement du processus de décentralisation comme clef du développement.
Depuis la loi de 1992, le processus de décentralisation a été favorablement salué par tous. Cependant la décentralisation est depuis plusieurs années « en panne », on a même vu un élan de recentralisation. Le Nord du Mali constitue 2/3 du territoire, pourtant un sentiment d’abandon perdure. Tout le monde s’accorde à dire que la décentralisation est une des clefs d’administration du territoire pertinente pour promouvoir le développement, cependant le processus de décentralisation n’a pas encore fait toutes ses preuves et il se doit d’être renforcé.
Pour assurer plus d‘autonomie au collectivités locales, la taxe de développement local doit être rigoureusement établie, notamment quant à son recouvrement, sous peine de voir ces collectivités sans ressource. Il est du devoir des citoyens de payer cette taxe, une prise de conscience sur sa nécessité est donc nécessaire.
Selon certains participants, le Mali étant parfois perçu comme un « millefeuille administratif », il pourrait être judicieux de se limiter à deux niveaux dans la décentralisation : communes et régions.

Clivages intercommunautaires et intracommunautaires.
On peut appréhender la multiplication des groupes rebelles de différentes manières.
-- Pour certains, c’est à cause de la persistances des problèmes (pauvreté, sous développement, chômage) que beaucoup ont intégré les rangs de l’opposition (MNLA, AQMI, MUJAO…). Selon cette position, il ne faut pas voir ces groupes communautaires, notamment le MNLA comme la source de tous les problèmes. Si ces derniers disparaissaient subitement, les problèmes subsisteraient, c’est pourquoi il faudrait tenter de trouver des réponses plus profondes aux maux qui gangrènent le Mali. Ainsi la formation du MNLA est un symptôme en réponse aux maux plus profonds qui fragilisent le Mali.
-- Pour d’autres en revanche le MNLA constitue la cause directe de la crise malienne. Ainsi l’anéantissement de ce dernier rétablirait le calme au Mali.

Tous s’accordent pour dire qu’il y a trop souvent amalgame entre les individus coupables et la communauté dont ils sont issus. Cette confusion a pour conséquence de renforcer les arguments des rebelles et augmente le flux des réfugiés.

Faut-il changer de vocable pour désigner le Nord Mali ?
On constate des divisions dans l’opinion sur le vocable à utiliser pour désigner le Nord et le Sud du Mali. Pour certains il faut éviter de parler de Nord et de Sud pour ne pas créer une scission entre deux zones géographiques appartenant au même pays, (le Nord et le Sud Soudan sont donnés comme exemple). Ainsi il faudrait préférer l’expression « septentrion malien ». Pour d’autres, la nature a fait du Nord et du Sud deux parties distinctes. Les conditions, la culture et l’histoire de chacun de ces sous blocs sont indiscutablement différents. Ainsi, comme « il faut appeler un chat un chat(3)  » on devrait, selon cette position, appeler le Nord le Nord.
Certains disent qu’il faut aussi accepter la réalité : le Mali est effectivement un tout, mais il est vrai qu’il y a un Sud qui administre le Nord. Il y a des différences de développement majeures entre ces deux parties : le Nord est bien moins développé que le Sud. «  Quand on a mal au doigt, certes on a mal, mais on ne dit pas qu’on a mal au corps en général, on dit bien qu’on a mal au doigt ». Cet avis sur le développement plus faible du Nord n’est pas partagé par tous, il est dit également que la Région de Kayes située au Nord Est est également faiblement développée mais que cela n’entraîne pas de prise d’armes par ses habitants. Les Régions du Sud ont plus de potentiel mais ont aussi des problèmes de développement.


« Personne ne fera la Mali à notre place.(4)  »


(1) Cette synthèse a été réalisée par l’IRAM, elle reprend certains éléments évoqués lors de la réunion du 16 mai et ne reflète pas l’avis des rédacteurs. Par ailleurs ce document n’a pas fait l’objet d’une demande de validation de la part des participants.
(2) Présentation de François Loncle pour l’ouverture du colloque

(3) Propos rapportés de Madame Zakiyatou Oualett Halatine lors du colloque du 16 mai à l’Assemblée Nationale.
(4) Propos rapportés de Madame Zakiyatou Oualett Halatine lors du colloque du 16 mai à l’Assemblée Nationale.

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